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Lesechos

Orange se rêve encore en grand d’Europe


Leader en France, l’opérateur télécoms affirme vouloir jouer un rôle moteur dans la consolidation du secteur sur le Vieux Continent. Un impératif pour résister aux incursions des Gafa sur ses marchés.

Orange est un peu comme les Bleus. L'équipe de France de football est la favorite pour remporter l'Euro 2016. L'opérateur historique tricolore est, lui, le favori pour réaliser la consolidation des télécoms en France. Mais pour l'instant, ce n'est pas gagné ni pour l'un ni pour l'autre ! Stéphane Richard, le PDG de l'opérateur télécoms leader dans l'Hexagone, y a pourtant cru qu'il allait marier Orange et Bouygues Telecom. Mais, à l'issue de trois mois de discussions intensives qui se sont achevées début avril, l'opération a échoué. Et si ce n'est pas la première fois que de tels échanges ont lieu, ils ne sont pas près de repartir de si tôt, de l'avis des protagonistes.

Pour Stéphane Richard, c'est une belle occasion manquée. Même si la responsabilité de l'échec ne repose pas que sur lui. Ce sont les gros deals qui font les grands patrons, et celui-ci était de taille : c'était une opération à 10 milliards d'euros. Vu le montage qui était prévu, elle n'aurait pas suscité un euro de dettes, tout en augmentant l'Ebitda de l'opérateur. Surtout, en avalant Bouygues Telecom, Orange comptait s'acheter une stratégie de remontée du cours de Bourse. Mieux assis sur son marché domestique, il pouvait ainsi être en pole position pour attaquer le marché européen, où il espère encore faire des emplettes. Il l'a encore dit mardi : « Nous, Orange, nous nous voyons comme un acteur européen. S'il doit en rester un ou deux, on en fera partie », a-t-il affirmé devant la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale.

Capitalisation boursière inférieure à celle de Deutsche Telekom

Belle déclaration, qui reste cependant à concrétiser. L'Europe compte des opérateurs de poids : l'allemand Deutsche Telekom, le britannique Vodafone ou encore l'espagnol Telefonica figurent tous dans le Top 10 des principaux opérateurs de télécommunications dans le monde établi par l'Idate. Pas Orange. Le français est certes déjà bien présent en Europe : en Espagne et en Pologne, ses deux plus gros marchés, mais aussi en Roumanie, en Slovaquie et en Belgique. Il est par ailleurs l'un des rares opérateurs télécoms au monde à avoir un pied sur le Vieux Continent et l'autre en Afrique, où il est établi dans plus d'une vingtaine d'Etats.

Mais, sur le sol européen, ses pairs sont mieux valorisés que lui. La capitalisation boursière du français est, par exemple, plus de 40 % inférieure à celle de Deutsche Telekom. Autant dire qu'avec l'allemand « un rapprochement dans ces conditions est impensable », confiait il y a quelques semaines, Stéphane Richard, lors d'une réunion interne à ses salariés. Si elle est globalement repartie à la hausse depuis 2015, l'action Orange a notamment pâti du tsunami Free, dont Stéphane Richard rappelait récemment qu'il lui a fait « perdre 2 milliards de marge. »

Une opération monstrueuse

Il fut un temps, pourtant, où l'ex-France Télécom jouait aux avant-postes en Europe. En 2000, l'acquisition du britannique Orange, en pleine bulle Internet, le propulse au deuxième rang des opérateurs mobiles européens, derrière Vodafone. L'opération est monstrueuse pour le France Télécom d'alors qui la paie 41 milliards d'euros, plus 9 milliards de reprise de dettes ! A vrai dire, il n'a pas tellement le choix : Deutsche Telekom, autrefois son allié, discute alors mariage avec Telecom Italia pour donner naissance au plus gros groupe européen. Finalement, le « deal » germano-italien échoue, mais pas celui de France Télécom, qui prend alors un virage stratégique majeur. Et pas seulement parce que le britannique Orange finira par lui donner le nom qui fera de lui une marque mondiale. « Si France Télécom n'avait pas racheté Orange, il serait aujourd'hui le Telecom Italia de la France », assure un bon connaisseur du groupe. Un groupe affaibli et potentiellement opéable, donc.

Pour Orange, le développement en dehors des frontières a commencé au lendemain de l'ouverture du marché des télécoms à la concurrence, en 1998. Pour la première fois, l'opérateur doit affronter des rivaux. Cela lui donne des ailes. L'ère Didier Lombard, à partir de 2005, le fait entrer en Espagne et en Afrique, aujourd'hui l'un de ses relais de croissance. Elle atteint son point d'orgue avec l'échec du rachat « un peu fou » de l'opérateur nordique TeliaSonera, dont beaucoup considéraient alors qu'il était trop risqué. Le péché de gourmandise, Orange l'a payé très cher. En 2002, l'entreprise établit un record : elle compte parmi les firmes les plus endettées au monde, avec une ardoise de 68 milliards et des pertes de 20,7 milliards ! A l'époque, l'Etat, actionnaire d'Orange, est obligé d'injecter 9 milliards pour sauver l'entreprise.

Vingt ans de bouleversements

Aujourd'hui, c'est l'inverse. A 26,6 milliards d'euros, la dette d'Orange, c'est « seulement » deux fois son Ebitda, soit l'un des ratios les plus bas du secteur. Orange a mûri. L'heure est à la mesure, à tout point de vue. La très médiatique crise des suicides, en 2009 (41 en deux ans), est passée par là. Dans les vingt années qui précèdent, l'entreprise connaît des mutations majeures : le mobile, l'Internet, l'ADSL... Les salariés doivent s'adapter au fil des ruptures technologiques et du bouleversement des usages. Reconversions à marche forcée, mobilités géographiques, relations sociales déshumanisées, changement de culture aussi, du public au privé... Rien n'est épargné aux salariés sous l'ère Lombard, bon redresseur de comptes, mais piètre dirigeant social.

Quand Stéphane Richard le remplace au pied levé, c'est d'abord pour rétablir la paix interne. C'est ensuite pour reconstruire un avenir plus « modéré » pour Orange. Fini le modèle d'intégration tuyaux-contenus audiovisuels, qui avait poussé Didier Lombard à racheter une partie de la Ligue 1 de football et à signer des accords avec Warner et HBO pour lancer une chaîne sport et cinq chaînes cinéma. Pas question non plus de se lancer dans de folles acquisitions. Au contraire, Orange vient de sortir du marché britannique. Et le plus gros rachat du groupe depuis dix ans se chiffre à 3,4 milliards d'euros : c'est l'opérateur Jazztel, acquis en Espagne, l'an dernier. Ce qui fait dire à Patrick Drahi, le patron d'Altice-SFR qu'« Orange ne rachète que des p'tits trucs ». Lui qui est en passe de s'offrir coup sur coup deux câblo-opérateurs américains pour un montant total de 24milliards.

L'Etat dans le capital d'Orange : un inconvénient

La présence de l'Etat dans le capital d'Orange (23,04 %) n'est pas un avantage. On en a encore eu un bon exemple dans la tentative de rapprochement avec Bouygues Telecom. Les conditions qu'il a imposées pour éviter d'être trop dilué sont de nature à décourager tout potentiel nouvel acteur qui souhaiterait se rapprocher de l'opérateur historique. Stéphane Richard rêve d'un rapprochement avec Telecom Italia, mais Vincent Bolloré, maître à bord chez l'italien (via Vivendi), y réfléchira sûrement à deux fois s'il doit, un jour, monnayer un mariage en actions Orange.

Faute d'une solide valorisation, handicapé par l'Etat et soucieux de ne pas bousculer trop vite, trop fort, les équilibres du groupe, Orange n'est pas dans la meilleure position, pour l'heure, pour se muer en acteur paneuropéen. En attendant l'hypothétique marché unique du numérique en Europe, qui pourrait l'y aider, Orange mise sur le très haut débit et les services. Il a une avance considérable sur ses concurrents dans le déploiement en France de la fibre, cette technologie beaucoup plus rapide que l'ADSL qui sera utilisée par tous demain. Et il va lancer une banque mobile en 2017.

L'accroissement du poids du groupe en Europe reste néanmoins nécessaire. S'il ne bouge pas, l'opérateur sait que, tôt ou tard, il aura forcément un problème de taille face aux Gafa, les Apple et autres Amazon, qui investissent son terrain de jeu.

Fabienne Schmitt

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